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The Pan African Music Magazine
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Riachão, cent ans (ou presque) de samba

Riachão, dernière légende de la samba de Bahia, était âgé de 98 ans quand il a quitté ce monde, le 30 mars 2020. PAM lui rend hommage et revient sur la vie de ce sambiste, passée à glorifier la joie, l’amour, le sens de l’honneur et de la liberté.

Une silhouette à la Chaplin en tenue de malandro* : c’est ainsi que le public de l’année du Brésil avait découvert le chanteur Riachão en 2005, lors de la soirée de la Cité de la Musique en hommage à la samba de Bahia, injustement méconnue. L’octogénaire, d’une mobilité étonnante, incorporait dans ses sambas le rythme et la mélodie, mettant son corps en mouvement en s’accompagnant d’un battement de mains et de pieds, et imitant le son du trombone pour la plus grande joie des spectateurs. Un performer, qui arborait costume, casquette et mocassins blancs, chemise rouge, des bagues à chaque doigt, un chapelet de colliers et une serviette éponge autour du cou, référence à la capoeira oblige, sur scène comme à la ville. 

Depuis son plus jeune âge, le sambiste côtoie les mauvais garçons, en constante représentation et toujours sapés impeccables. Petit-fils d’esclave, Clementino Rodrigues naît en 1921 à Salvador de Bahia, d’une mère lavandière au service de la blanche bourgeoisie et d’un père charretier. Dans le quartier de Garcia, les familles sont d’une grande pauvreté et la mortalité infantile fait des ravages. Des 15 enfants du couple, seuls six survivront, dont le petit Clementino, qui n’arrête pas de se bagarrer, récoltant au passage le sobriquet de « Riachão », le gros ruisseau, difficile à traverser. En grandissant, Riachão fréquente les artistes populaires, le candomblé, les rondes de capoeira, écoute des sambas cariocas sur le poste de radio des voisins, et se met à tambouriner sur tout ce qui lui passe sous la main. Devenu, à l’adolescence, apprenti tailleur, il satisfait sa formidable envie de chanter, de danser et de composer en se présentant contre quelques piécettes dans les cirques, les fêtes religieuses et les soirées d’anniversaire. 

Les premières compositions de Riachão prennent leur origine dans la vieille bataille stérile qui n’en finit pas d’opposer Rio à Bahia autour de la paternité de la samba lorsqu’à 12 ans, l’indignation provoquée par une coupure de journal voulant prouver la supériorité musicale de la capitale carioca, le pousse à écrire sa première samba. Comme les Veloso (Caetano, Maria Bethânia), la famille Rodrigues est native de Santo Amaro da Purificação, une ville située à 70 km de Salvador, en plein Recôncavo baiano. C’est dans cette région qui relie le littoral à l’intérieur du Nordeste, que furent acheminés d’Afrique des milliers d’esclaves pour cultiver la canne à sucre et le tabac. Des terres considérées comme le berceau de la samba de roda, la rencontre explosive de la viole portugaise et des percussions africaines, qui est au Recôncavo ce que le blues est au Mississipi. La chula, expression musicale de la samba de roda, permet comme le blues de surmonter les difficultés de la vie, les salaires de misère, la dureté de la réalité. Plus sensuelle et plus afrobaroque que la samba de Rio mais dépendante de l’amateurisme et de la précarité des médias locaux, elle est restée cantonnée à cette partie du Brésil très attachée aux rythmes régionaux et aux préoccupations des habitants du sertão. « La samba est née à Bahia, parce que le Brésil est né à Bahia », répondait malicieusement Riachão lorsqu’on l’interrogeait sur le sujet. 

Samba Riachão
À chaque évènement, sa samba 

Repéré par la Radio Sociedade da Bahia précisément pour ses performances au sein d’un trio de musique sertaneja (c’est-à-dire des campagnes nordestines), le jeune homme en devient l’attraction principale, attirant les foules grâce à un grand répertoire de sambas festives qu’il compose lui-même et qu’il chante en direct. Sa force créatrice lui vient de sa capacité à improviser à partir de dictons populaires, de banals commentaires ou de faits divers, pour transformer en samba le moindre événement marquant de la vie à Salvador : la visite de la reine Elisabeth, l’incendie du marché artisanal, l’exhibition sur un camion d’une baleine embaumée ou bien encore la rétrocession d’une tortue géante aux autorités américaines. Les paroles lui viennent spontanément à l’esprit grâce à l’inspiration divine : « Composer n’est pas une préoccupation, expliquait-il, pour chacune de mes sambas, c’est Jésus qui commande ». Son charisme naturel, sa verve satirique et la poésie dont il fait preuve dans ses chroniques sociales, en font au fil des ans le gardien de la culture populaire des Seropolitanos, les habitants de Salvador. Mais pour Riachão, transmettre la joie de vivre libre et célébrer la beauté féminine suffisent à résumer toute son œuvre. Préférer se concentrer sur les bonnes choses de l’existence plutôt que le contraire, se rappeler des moments heureux malgré la pauvreté sociale et économique des populations auxquelles on appartient, est typique de l’esprit des sambistes de cette époque : « Toute ma vie n’aura été que ça : m’amuser, chanter, danser la samba, affirmait-il. Il n’y a rien de mauvais, tout est source de joie ».

Mais en ces années quarante, dans le Brésil du populiste Vargas, un tournant autoritaire s’est opéré, qui après avoir supprimé le droit de grève, exhorte les citoyens les plus pauvres à se mettre au travail. Vivre au jour le jour en vendant ses sambas est assimilé à du vagabondage, et la répression policière s’abat sur les malandros et leurs comportements marginaux. Finis la vie de bohème, les veillées funèbres entre amis où l’on se glisse pour siffler de la cachaça. Obligé de trouver un emploi pour pouvoir continuer à chanter, à composer, à boire et à faire la fête, Riachão intègre l’imprimerie du journal Diário de Noticias, aiguisant son sens journalistique et se liant d’amitié avec un certain Oscar da Penha, alias Batatinha (un type bien, en argot), dont les sambas remplies d’émotion seront la face sombre des chroniques truculentes du malandro. Les deux hommes ont en commun l’art de mettre en scène le Seropolitano de la rue et de perpétuer la tradition orale de la chula. De plus, sans éducation musicale pour les coucher sur le papier ni conditions financières pour les enregistrer, seule la mémoire permet de conserver les sambas qu’ils composent. Plus tard, malgré la mémoire qui flanche — il avait alors 97 ans — Riachão s’était mis en tête de toutes les retrouver.

« À chaque macaque sa branche« 

Vers la fin des années 1950, les compositions des sambistes bahianais finissent enfin par attirer l’oreille des célébrités brésiliennes de l’époque. Parmi elles, Jackson do Pandeiro, qui sera le premier à enregistrer les sambas de Riachão, consacré meilleur compositeur de la radio bahianaise de 1959. Suivi par le Trio Nordestino et de grands interprètes de la samba carioca, comme Jamelão et Miltinho. La consécration viendra en 1972, en pleine dictature militaire, lorsque Gilberto Gil et Caetano Veloso, pour marquer leur retour d’exil, choisissent d’enregistrer Cada Macaco No Seu Galho (A chaque macaque sa branche), qui décrit un différent vécu par le sambiste sans aucun rapport avec la situation politique mais avec des paroles fortes sur l’esclavage tout à fait opportunes dans ce contexte de dictature militaire. Comme tous les sambistes à la reconnaissance tardive, à l’instar de Cartola ou de Clementina de Jesus, Riachão a très peu enregistré : Sonho de Malandro, son premier album sponsorisé par la banque où il travaille comme garçon de bureau, sort en 1973. L’année suivante, la TV Cultura consacre une de ses émissions, « MPB Especial », aux sambistas de Bahia Riachão, Batatinho et Panela avec une captation à minima pour le label Fontana. 

Il faudra attendre le passage au troisième millénaire et l’album Humanenochum qui balaye l’ensemble de sa carrière pour que le grand public découvre l’étendue de son savoir rythmique et musical. Les producteurs Paquito et J. Velloso, auteurs deux ans auparavant d’un somptueux hommage à Batatinha avec Diplomacia – Antologia de um sambista, ont rameuté les fans inconditionnels comme Carlinhos Brown, Tom Zé ou Dona Ivone Lara, offrant à Caetano Veloso un duo mémorable avec le fringuant Riachão sur Vá Morar Com O Diabo (Va-donc t’installer chez le diable). Après être retourné en studio en 2013 pour enregistrer l’album Mundão de Ouro, Riachão préparait, à l’âge de 98 ans, son ultime opus, qui devait s’intituler Se Deus quiser vou chegar aos 100 (si Dieu le veut, je deviendrai centenaire), lorsque Jésus en a décidé autrement. 

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